Angers

Leçon de théâtre avec Francis Huster

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Francis Huster, Francis Perrin et la Compagnie de France seront présents ce soir et demain au Château du Plessis-Macé pour présenter la première de leur nouveau spectacle « Le Misanthrope » dans le cadre du Festival d’Anjou. Présentation de la pièce avec Francis Huster.

Francis Huster : « Le mystère de cette pièce, c’est qu’on en a fait une pièce de théâtre, et ce n’est pas une pièce de théâtre. C’est pour ça que la Troupe de France a décidé de faire « Le Misanthrope » parce qu’on avait fait « Don Juan » l’année dernière. C’était l’énigme de Molière, « Le Misanthrope ». En ce sens que ce n’est pas une pièce normale. Ca n’est pas un rôle normal. Ca n’est pas une œuvre normale. Jean-Louis Barrault disait que c’était le chef d’œuvre des chefs d’œuvre. Lui aussi l’avait joué. Tous les plus grands l’ont joué. Mais pareil, un mur. Molière c’est Docteur Poquelin et Mister Molière. Poquelin, c’est son vrai nom. Il a fait des études. Il est avocat. Il a une licence de lettres à Rouen en ayant traduit tout Lucrèce. Ce n’est pas un rigolo. C’est comme Charlie Chaplin et Charlot. Molière s’est inventé un Sganarelle qu’est son Charlot. Il se trouve que ce Jean-Baptiste Poquelin c’est l’auteur et que Molière c’est l’acteur. »

Molière réinvente le rôle de l’acteur

F.H. : « Les immenses qualités de l’acteur, elles n’étaient pas contrairement à ce qu’on pense dans le comique. Elles étaient dans la tragédie. Il voulait être le plus grand tragédien de son époque. Il faut se rappeler qu’avant Molière, la comédie n’existe pas. La comédie ça n’existait qu’en Italie avec la Commedia dell’arte. Le problème de Poquelin, c’est que quand il commence à écrire des tragédies, c’est qu’il a voulu les interpréter et que ça a été une catastrophe. A cette époque le spectateur considérait que le théâtre c’était de l’opéra parlé. Ce qui compte ce n’est pas l’expression, mais c’est le texte. C’est épouvantable la façon dont les acteurs français jouaient au XVIIe siècle jouent. C’est nullissime. La preuve c’est qu’à part Racine, Corneille et Molière, il n’y a rien. Or il y a eu 16 000 pièces au XVIIe. Il n’y en a que trois qui sont restés. Quand il joue ses tragédies, il les joue d’une manière simple naturelle. C’est le premier acteur de tous les temps en France. C’est une telle catastrophe que Racine au lieu de rester avec Molière décide de le quitter. »

Francis Huster : « Le Misanthrope, c’est le chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre »

F.H. : « Pour vivre, il être obligé de revenir avec des comédies. Mais c’est plus fort que lui, il veut écrire une tragédie. Tout d’un coup il va écrire une tragédie et il va escroquer le public en lui faisant croire que c’est une comédie. Donc les gens viennent voir une comédie, et qu’est-ce qu’ils voient ? La plus grande pièce de tous les temps. Y’a Shakespeare avec « Hamlet » et il y a Molière avec « Le Misanthrope ». Or Shakespeare n’a pas eu les couilles de faire une vraie pièce sur la Reine Elizabeth, sur la cours d’Angleterre (sic). Il a dévié, il a fait Richard III, Henri V… Molière, il fait Louis XIV et il fait la Cour. Ce misanthrope de Molière est le chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre parce que c’est mieux que Tchekhov parce que lui non plus n’a pas été dans le politiquement incorrect. Il n’a pas écrit une pièce qui se place dans la Cour du Tsar. C’est donc le sommet. »

Molière, créateur de la comédie à la française

F.H. : « Mais le problème, c’est que comme il y a un ton d’un naturel confondant, ce n’est ni de la prose, ni des vers, même si c’est écrit en alexandrin. En fait ce sont des dialogues. C’est-à-dire qu’il invente avec cette pièce ce qui n’existait jamais avant, le silence. Il faut bien comprendre que tu peux faire du théâtre en mettant la tragédie, avec des gens qui ne parlent donc pas normalement, qui parlent en vers. Les gens qui jouaient au théâtre, il n’était pas dans le naturel de la vie. Or ce type-là, Molière, il a écrit avec cette pièce ce qu’on appelle le premier film. C’est-à-dire que les acteurs doivent être non seulement comme dans la vie avec leur vraie voix et pas une voix de théâtre. Ils doivent correspondre au rôle, ce qui n’existait pas avant. Je m’explique, tu pouvais être une petite bonne femme et tu pouvais jouer Chimène. Tu pouvais être une grande bringue et tu pouvais jouer Lisette, tu pouvais être grosse et jouer Elmire… Les acteurs on s’en fichait de ce qu’ils étaient vraiment dans la vie. On s’en foutait du physique. Après « West Side Story », les chanteurs d’opéras sont devenus des beautés. Le théâtre, c’est pareil. Il y avait des gens insensés qui jouaient des rôles qui n’avaient rien à voir avec eux dans la vie. Or le génie de Molière, c’est qu’il a mis sur scène la vraie vie, les vrais rôles, les vrais êtres humains. C’est pour ça que c’est universel. »

Il faut écouter le texte

F.H. : « Dès que tu mets en scène « Le Misanthrope », c’est fini. Ce n’est pas la peine d’en parlé, c’est fini. Ce n’est pas du tout ce qu’il faut. Il faut des acteurs qui soient comme dans un film d’Hitchcock. C’est-à-dire d’une pureté qui fait que rien ne se voit, et que tu ne sois que dans le texte et l’émotion des acteurs. C’est le public qui dans sa tête fait la mise en scène. Qu’est-ce qu’on peut faire pour qu’on entende enfin ce texte qui est sublime. J’espère que vous vous en rendrez compte ce soir. Voilà une pièce qui est mal construite, mal mis en scène, mal interprétée, mal présentée, mal faite, et c’est parce que ce sera comme ça qu’on risque d’atteindre le vrai Misanthrope. »

Propos recueillis par Ludovic Aurégan

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