Cholet
Une entreprise de peinture de Saint-Nazaire mise en cause après le suicide d’un commercial de Cholet

Les deux fils d’un commercial d’une entreprise de peinture de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) ont porté plainte contre ses employeurs le 19 juin 2025 pour « homicide involontaire » et « provocation au suicide », après que leur père se soit donné la mort.
Le 26 mai 2024, Vincent Bailly – un habitant de 53 ans de Cholet (Maine-et-Loire) – avait en effet été retrouvé sans vie par son fils de 25 ans, Hugo, qui travaillait avec lui. Un an plus tard, lui et son frère aîné de 28 ans, Martin, ont déposé plainte auprès de la procureure de la République de Saint-Nazaire contre l’entreprise Peinturoll, sa dirigeante et son directeur commercial.
Ce Choletais qui avait fait ses armes dans la grande distribution s’était reconverti depuis 2011 comme commercial, d’abord pour une société dans laquelle il était parvenu à « tripler » son portefeuille de clients en une dizaine d’années, expliquent fièrement ses deux fils. A cette époque, ce père qui « s’est fait tout seul » gagnait très bien sa vie : il était « épanoui » et « adorait son travail », assurent Hugo et Martin Bailly. Ensuite, le commercial était devenu « multi-cartes » pour plusieurs sociétés du secteur du bâtiment et des travaux publics.
En avril 2023, le quinquagénaire avait ainsi été officiellement « débauché » par Peinturoll, tout en conservant son statut « multi-employeurs ». Mais ses deux fils l’avaient alors vu progressivement sombrer : dès ses six premiers mois d’exercice, le commercial s’était aperçu que les « 600.000 € » de chiffre d’affaires promis étaient en réalité « inexistants ».
AUCUNE « VISITE DE REPRISE »
Il n’avait que peu de « clients historiques » et devait « repartir à zéro » sur sa zone d’exercice, d’autant qu’il était soumis à « une clause de non-concurrence » d’un ancien employeur pendant un an. Des « fichiers clients » avaient par ailleurs « disparu »… avant de réapparaître miraculeusement un an plus tard. Vincent Bailly exprimait donc « tous les jours » son regret d’avoir rejoint Peinturoll et d’avoir « fait confiance » à ses dirigeants. On lui a « vendu du rêve » pour « récupérer son portefeuille clients » antérieur, sont aujourd’hui convaincus ses fils.
Quelques temps avant l’expiration de sa clause de non-concurrence, fin 2023, un rendez-vous s’était tenu pour la première fois avec la dirigeante de l’entreprise pour rediscuter des « secteurs » du commercial. Sandra Vandeuren n’est pas une inconnue localement : cette « juriste et médiatrice » pour un cabinet d’avocats de Saint-Nazaire était candidate UMP pour les élections départementales de mai 2015. Elle était aussi n°2 sur la liste de son conjoint et patron, l’avocat Denis Lambert, lors des élections municipales de 2020 à Saint-Nazaire…
Mais « l’incertitude » avait une nouvelle fois prédominé au terme de cet « échange flou », selon les fils du quinquagénaire : leur père n’avait toujours « aucune marge de manœuvre pour faire remonter le chiffre d’affaires ». Un mois plus tard, le 10 janvier 2024, alors que la « pression psychologique » de sa patronne et de son directeur commercial montait « crescendo », le commercial avait été placé en arrêt maladie pour « syndrome anxio-dépressif chronique ».
Malgré tout, pendant son arrêt maladie, les appels et mails de la direction pour « faire un point » et « discuter deadline » se poursuivent. Vincent Bailly revient au travail le 22 avril 2024, mais « aucune de visite de reprise » n’est alors effectuée – contrairement à ce qu’imposait le code du travail pour un arrêt supérieur à « soixante jours ».
UNE CONVOCATION A UN LICENCIEMENT RECUE… AU LENDEMAIN DE SA MORT
La pression repart alors de plus belle : une « convocation » lui est adressée six jours après pour rediscuter « secteurs » et le pousser à « démissionner » de son autre employeur. Vincent Bailly finira par s’exécuter « sous la menace » : « décontenancé » et « submergé par l’angoisse », il est dans un état « extrêmement critique », souligne l’avocate de ses fils dans sa plainte.
Le quinquagénaire fait même montre d’une « hypervigilance », voire de « paranoïa »… Le 16 mai 2024 le père de famille est convoqué « au domicile du père de Charly Mansat », le directeur commercial de Peinturoll, à Rennes (Ille-et-Vilaine). Suite à cet entretien, le « comportement » de Vincent Bailly a « changé », dira plus tard sa veuve à la Caisse primaire d’assurance-maladie (CPAM). « Ils veulent me faire porter le chapeau sur quelque chose de lourd que je n’ai pas fait », expliquera le quinquagénaire à ses fils.
Puis, le 24 mai 2024, Sandra Vandeuren et son compagnon-patron avocat contresignent un mail aux propos « particulièrement agressifs » dans lesquels la dirigeante « calcule ses visites clients » et « le temps qu’il met pour rentrer des rendez-vous », expliquent les deux enfants de la victime. Vincent Bailly « décompense » donc dès le lendemain et son fils cadet Hugo l’accompagne aux urgences de Cholet… mais l’homme en ressortira sans être pris en charge, faute de psychiatre disponible. Il se suicidera la nuit suivante, le 26 mai 2024.
Au lendemain de sa mort, ses fils ont alors la surprise de recevoir un « avis de recommandé » de La Poste : il s’agissait d’une convocation à « entretien préalable à licenciement »... La dirigeante a de son côté affirmé à la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) que c’était pour « mettre fin à son contrat multicartes » et démarrer « un nouveau contrat d’exclusivité ».
NI « FLEURS » NI « CONDOLEANCES » DE LA SOCIETE APRES SON DECES
« Aucun appel », ni « fleurs » ni « carte de condoléances » ne seront par ailleurs reçus, par la suite, de la part de l’entreprise de peinture suite au décès de son salarié… sauf pour demander à son fils Hugo Bailly « comment on fait pour tes clients » et lui rappeler qu’il n’a « le droit qu’à trois jours » pour le décès de son père.
Dans ces conditions, Hugo Bailly a quitté la société qui l’employait, et lui et son frère se sont donc rapprochés d’avocats pour enclencher la machine judiciaire. « C’est l’entreprise qui a poussé mon père à faire cet acte-là », est convaincu l’aîné. Les deux hommes, représentés par Me Géraldine Pitel, souhaitent désormais « combattre » pour la mémoire de ce père « très très présent » et qui « aimait la vie ».
« Je comprends leur douleur mais il n’y a aucune preuve de violence », assurera pour sa part la dirigeante de Peinturoll à l’enquêtrice de la Caisse primaire d’assurance-maladie (CPAM). Sandra Vandeuren assure avoir reçu les « confidences » de son commercial sur ses « graves problèmes de santé » et « de couple »… Sa famille « semble vouloir occulter ces problématiques pour des raisons malheureusement uniquement financières », nous explique-t-elle par mail. Elle n’a toutefois pas souhaité réagir davantage à nos sollicitations pour ne pas « interférer avec la justice », se disant « terriblement affectée » par ce drame. Mais elle se dit prête à le faire « après le classement sans suite » qu’elle espère pour cette « procédure ».
Reste que le 24 octobre 2024, les proches de Vincent Bailly ont appris la reconnaissance de son suicide en « accident du travail » par la CPAM. En parallèle de la plainte pénale déposée auprès de la procureure de la République de Saint-Nazaire, une procédure devant le pôle social du tribunal judiciaire de Saint-Nazaire a aussi été lancée pour sanctionner la « faute inexcusable » de l’employeur. L’inspection du travail a aussi signalé des faits pouvant relever du délit de « harcèlement moral » au parquet. Pour l’heure, la société et ses dirigeants sont présumés innocents./CB et GF