Culture
Alain Delon, acteur clair obscur à la gloire sans égale
Alain Delon, dont la mort à l’âge de 88 ans a été annoncée dimanche matin par ses enfants à l’AFP, laisse une empreinte sans pareille dans l’histoire du cinéma français, à l’aune de son aura ténébreuse, de la perfection de ses traits et du prestige de ses mentors, Luchino Visconti, René Clément ou Jean-Pierre Melville.
Avec lui disparaît l’un des représentants les plus illustres de la génération de Jean-Paul Belmondo, son double solaire, Brigitte Bardot et Jean-Louis Trintignant, celle des acteurs nés dans les années 1930, qui sont entrés en cinéma sous le regard de Jean Gabin, Lino Ventura ou Simone Signoret.
Fils de personne, Alain Delon a toujours vécu en clair-obscur, dans le contraste entre, d’une part, sa beauté sans défaut, son succès auprès des femmes, la consécration des décennies 60 et 70 et, d’autre part, des accointances sulfureuses et un caractère tourmenté, habité par le sentiment d’une solitude radicale.
Il doit probablement ce mal au divorce de ses parents, qui le placent à quatre ans dans la famille d’un gardien à la prison de Fresnes, en banlieue parisienne, et refont leur vie ailleurs, sans égards pour cet enfant destiné à rien.
Le jeune Delon, devenu apprenti charcutier, a un tel besoin d’évasion qu’il s’engage à l’âge de 17 ans dans la marine, direction l’Indochine en guerre.
« Son enfance a été aussi triste, pauvre et solitaire que la mienne a été joyeuse, bourgeoise et pleine d’amour », écrira Jean-Paul Belmondo dans ses mémoires, parus en 2016. « Nos passés nous ont certainement condamnés à être, l’un ténébreux, l’autre malicieux, mais nous avons en commun un désir d’aventure, un plaisir viscéral à être acteur, une sincérité dans le jeu. »
Après l’Indochine, au mitan des années 1950, le milieu du cinéma repère par hasard cette gueule divine, regard acier, et lui offre ses premiers rôles, dans lesquels la star en devenir révèle un art inné du placement et du jeu.
« TOUT CONNU, TOUT VU »
On voit alors émerger un acteur tout en nerfs, félin et précis, sans exubérance, qui accède en 1960 à un statut à part, au-dessus des autres, grâce à ses interprétations de Rocco chez Visconti et de Tom Ripley dans « Plein Soleil » de Clément, un film irradié par la lumière de Naples et par sa présence.
Dans les années 1960 et 1970, Alain Delon complète sa filmographie quasiment sans tache avec « Mélodie en sous-sol » et « Le Clan des Siciliens » de Henri Verneuil, « Le Samouraï » et « Le Cercle rouge » de Jean-Pierre Melville, « La Piscine » et « Borsalino » de Jacques Deray, « Le Guépard », à nouveau chez Visconti.
Il joue aussi pour Antonioni et Louis Malle, donne la réplique à Jeanne Moreau et Claudia Cardinale, devient son propre producteur et tente de s’exporter à Hollywood – l’expérience tourne court après une poignée de films.
« C’est quelqu’un qui peut remettre sa carrière en question à chaque instant, d’ailleurs il s’en fout complètement », juge le réalisateur Bertrand Blier, interrogé par France Culture en 1986. Et pourtant, « il est irremplaçable ».
Le comédien révéré se double d’un homme coléreux, craint par les metteurs en scène et conscient de son importance, capable de parler de lui à la troisième personne.
« Sans parler d’Alain Delon, je crois qu’il y au monde et qu’il reste à l’heure actuelle très peu de ce que j’appelle moi des stars », dit-il à la télévision en 1975 avant d’ajouter sans pudeur : « Il y a beaucoup de vedettes mais très peu de stars et je crois faire partie de ceux-là. »
Et en star accomplie, Alain Delon a droit aux titres des journaux pour sa vie hors champ, de sa romance avec l’Allemande Romy Schneider, qui leur vaut le surnom de « fiancés de l’Europe », à la nébuleuse affaire Markovic, du nom de l’homme à tout faire d’Alain Delon retrouvé mort en 1968.
Gaulliste tendance dure, il ne fait pas mystère de ses convictions ancrées à droite ni de sa sympathie pour le Front national de Jean-Marie Le Pen.
Après l’apogée des décennies 60 et 70, la suite de sa carrière, rythmée par des rôles de flics et de voyous, souvent sous le même masque, ne retrouve plus l’éclat initial. Sa beauté passe, la fougue aussi.
Les querelles familiales surgies au crépuscule de sa vie ont achevé de ternir son destin.
« La vie ne m’apporte plus grand-chose », se désolait-il dans une interview à Paris Match publiée en janvier 2018. « J’ai tout connu, tout vu. Mais, surtout, je hais cette époque(…) Je sais que je quitterai ce monde sans regrets. »