Justice
Les « provocations sexistes » d’un délégué du personnel d’Eiffage à Beaucouzé reviennent sur la table judiciaire.
– Eiffage Construction Pays de la Loire (ECPDL) a demandé à la cour administrative d’appel de Nantes, ce vendredi 13 septembre 2024, de l’autoriser à licencier un ancien délégué du personnel de son site de Beaucouzé (Maine-et-Loire) qui s’était livré à des « provocations sexistes » lors d’une réunion du Comité central d’entreprise (CCE) en 2018.
En marge de la présentation d’un « plan d’actions » pour l’égalité hommes-femmes, A.XXX avait fait observer que le nombre moyen de jours d’absence des femmes cadres était équivalent à celui des ouvriers, mais que l’employeur « refusait d’accorder » pour autant des « jours de carence » aux ouvriers. « Les femmes font le tapin », en avait-il conclu.
Alors que ses interlocuteurs trouvaient ses propos « indécents » et « choquants », ce « maçon-coffreur » de profession leur avait répondu qu’on pouvait « tout dire en réunion » de CCE et il avait « répété ses propos » car il était « conscient de son petit effet », a grincé la rapporteure publique lors de l’audience devant la cour administrative d’appel de Nantes.
Mais la « diffusion du procès-verbal » auprès des salariés d’ECPDL avait fait des remous par la suite : « une trentaine de salariés » sur les 422 de la société avaient « manifesté leur indignation et leur vive désapprobation » pour ces « propos offensants ». Ils avaient demandé à leur employeur de « réagir de façon ferme », en prenant « la sanction la plus lourde » à l’égard de leur collègue ou en le « démettant de ses fonctions » de délégué du personnel, de membre du comité d’établissement et du comité central d’établissement.
IL POURRAIT DEMANDER DES DEDOMMAGEMENTS AUX PRUD’HOMMES
Eiffage Construction Pays de la Loire avait donc demandé l’autorisation à l’inspectrice du travail de Maine-et-Loire de licencier A. XXX au motif que « ses propos avaient été de nature à rendre impossible son maintien dans l’entreprise ». Face au refus de l’inspectrice du travail, le groupe de BTP avait fait un « recours hiérarchique » auprès du ministère du Travail et avait obtenu cette fois-ci gain de cause, en mai 2019. Mais, plus de trois ans plus tard, en janvier 2023, le tribunal administratif de Nantes avait annulé le licenciement…
Les premiers juges avaient en effet estimé que la « répercussion » de ces propos au sein de l’entreprise ne rendait pas pour autant « impossible » le maintien d’A. XXX dans les effectifs de la société. « Si ces propos (…) sexistes, dégradants et insultants (…) ont été formulés par un salarié exerçant (…) des fonctions représentatives (…), ces propos ont été tenus par un salarié pour lequel il n’est fait état d’aucun antécédent particulier, en particulier (…) vis-à-vis des salariées de la société », justifiaient-ils dans leur jugement.
Eiffage Construction Pays de la Loire avait donc fait appel : cet homme de 52 ans est devenu entre-temps chauffeur poids lourds intérimaire et n’a pas formulé de « demande de réintégration » dans ses effectifs… mais il pourrait très bien à présent demander des dédommagements pour « licenciement sans cause réelle et sérieuse » devant le conseil des prud’hommes si le jugement du tribunal administratif de Nantes venait à être confirmé par la cour administrative d’appel de Nantes.
A. XXX s’était en effet prévalu à l’époque d’une « pétition » de soutien « signée par quarante-deux personnes » ; certaines d’entre elles certifiaient qu’il était victime de « discrimination » de la part de son employeur et que Eiffage Construction Pays de la Loire « ne cesse de lui mettre des bâtons dans les roues ».
« UN EMOI CERTAIN ET UNE INDIGNATION BIEN LEGITIME »
Ce vendredi 13 septembre 2024, la rapporteure publique a proposé de désavouer Eiffage : si elle juge « indéniable » que les faits reprochés à A.XXX ont eu « des répercussions dans l’entreprise », « cela ne suffit pas » à remettre en cause le jugement « très richement motivé » de première instance. Ces « propos sexistes » ont certes généré « un émoi certain et une indignation bien légitime », mais Eiffage « ne justifie pas » pour autant qu’ils auraient provoqué « des tensions » rendant « impossible » le maintien d’A. XXX au sein de son personnel. Le « maçon coffreur » travaillait en effet « essentiellement sur des chantiers » et l’entreprise compte « plusieurs établissements » en Pays de la Loire où il aurait pu être muté.
La seule « démission de la trésorière » du Comité social et économique (CSE) – qui entretenait des « relations conflictuelles » avec lui, selon la direction – est « sans lien » avec les propos incriminés puisqu’elle a eu lieu « deux ans » plus tôt. La rapporteure publique, dont les avis sont souvent suivis par les juges, a donc préconisé de rejeter la requête d’Eiffage.
« Ce n’est pas une simple maladresse mais une provocation sexiste », a réagi l’avocat de l’entreprise de BTP. « Ces propos ne sont plus – ne sont pas – acceptables : ils créent de la démotivation, du stress et de la mauvaise ambiance… Il faut les sanctionner. » D’un point de vue juridique, il n’est « pas nécessaire » selon lui de démontrer que l’entreprise soit « bloquée » et que ses chantiers soient « à l’arrêt » pour justifier un tel licenciement : le seul « trouble » généré parmi le personnel « justifie parfaitement » ce type de décision.
L’ancien délégué du personnel n’était pour sa part ni présent ni représenté par un avocat à l’audience. La cour administrative d’appel de Nantes, qui a mis sa décision en délibéré, rendra son arrêt sous trois à quatre semaines./GF