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Thomas Thévenoud : l’apprenti-sorcier de l’élément de langage.

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Capture France 3

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La formule de Thomas Thévenoud restera en communication politique l’exemple parfait de l’élément de langage suicidaire. A l’image de la désastreuse formule utilisée par le PDG de France Télécom, Didier Lombard, évoquant « une mode des suicides » pour évoquer le drame social qui frappe alors son groupe. L’un et l’autre ne se remettront pas de ces boulets réputationnels.

Pour justifier ses errements fiscaux, l’ex-Secrétaire d’Etat au commerce extérieur a ainsi prétendu souffrir d’une « phobie administrative ». Tel un élève expliquant à son professeur que son devoir a été rédigé mais « que le chien l’a mangé ».

Pas une semaine ne passe sans que la presse se fasse l’écho d’une « Affaire » ruinant l’image et la carrière d’un homme politique. Le terme « e-réputation » se retrouvant d’ailleurs régulièrement propulsé sur le devant de la scène à travers l’action maladroite de sociétés spécialisées tentant de convaincre les journalistes qu’il convient de faire disparaitre le mot « Affaire » associé au nom de leur client dans le titre d’un article de presse.

Ainsi, sans s’y résumer, la vie politique de notre pays semble durablement marquée par cette succession de crises. Crises politiques, morales, financières. L’opinion publique française est de plus en plus méfiante à l’égard de la parole du « politique ». Ce qui contrait, hélas, les politiques qui veulent exister médiatiquement à trouver « la formule » qui fera mouche. Quitte d’ailleurs, à ne plus penser qu’à travers elles.

Pourtant, rien ne justifie que soient ainsi brocardés les éléments de langage. C’est dans l’émission « Le Petit Journal » présentée par Yann Barthès et son équipe qu’ils ont commencé à être repérés et dénoncés.

Ils ne sont que le reflet de l’évolution de notre société dans laquelle règnent la « pensée courte et efficace » à travers le SMS, Facebook, les Tweets, iMessages, etc.…

Malgré cette tendance au raccourcissement de la pensée, certains mots ont durablement marqué l’opinion. Certaines formules furent d’ailleurs si maladroites qu’elles déclenchèrent des crises d’image désastreuses pour ceux qui les employèrent tandis que d’autres mirent fin à une crise politique en quelques secondes.

En politique, le poids des mots est déterminant. Surmonter une crise en politique, c’est souvent une affaire de mots. S’ils peuvent constituer une véritable bouée de sauvetage salutaire alors que l’homme politique ne sait plus comment surmonter la crise qu’il doit affronter, au contraire, certaines formules ont littéralement « coulé » leurs auteurs.

En juin 1958, De Gaulle lance à Alger son fameux « Je vous ai compris ! ». La formule fera mouche. Elle restera comme l’une des formules les plus redoutables. Et aliénera durablement l’électorat pied-noir, harki et rapatrié, au Général et à ses successeurs.

Plus tard, lors de son allocution du 14 juillet 2001, le président français Jacques Chirac déclara à propos d’affaires gênantes le mettant en cause : « Ce n’est pas qu’elles se dégonflent, c’est qu’elles font pschitt ». Cette formule restera comme une formule magique permettant au politique de balayer les soupçons qui pèsent sur lui.

Déjà, un an auparavant, Jacques Chirac s’était illustré en utilisant le fameux « abracadabrantesque » pour surmonter sa mise en cause dans l’Affaire dite de « La cassette Méry ».

« Dès demain, on va nettoyer au Karcher la cité. ». Cette phrase sera prononcée par Nicolas Sarkozy en 2005, dans la cité des 4.000 à la Courneuve, après la mort d’un enfant tué au bas de son immeuble. Face aux habitants, le ministre n’hésita pas à employer une formule lui permettant de se faire comprendre du plus grand nombre tout en frappant l’imaginaire collectif pour concrétiser son action politique. La encore l’utilisation de cette formule collera longtemps au ministre-candidat, et sera déterminante dans son hold-up des voix frontistes.

Au contraire de ces formules particulièrement efficaces, le 24 juin 1997, Claude Allègre signa son entrée au gouvernement par une formule aussi tonitruante que maladroite « Je veux dégraisser le mammouth ». Elle deviendra l’emblème du conflit avec les enseignants dont il ne sortira pas.

Formule courte, surprenante et frappante. Voilà comment certains éléments de langage sont devenus si célèbres. Ces formules participent d’une stratégie du verbe visant à détourner l’opinion publique d’une Affaire ayant fait naitre ou susceptible de faire naitre une crise d’image pour un homme politique. La formule efficace est celle qui valorise votre position en discréditant l’attaque, clarifie l’affaire, suscite une émotion, clôt tout débat et assoit votre image.

Par ces formules, ils étouffent la crise en alimentant la machine médiatique qui s’attardera sur elles, en décryptant ces « bons mots », et non sur le fond de l’Affaire.

Tout homme politique confronté à une crise cherche à en sortir. Il est tentant de le faire, par un bon mot, après avoir fait un choix entre différentes tactiques : contre attaquer le concurrent, reconnaître et s’excuser ou minimiser puis se taire.

En entendant la formule de Thomas Thévenoud, nombre de voix de Français se sont élevées sur les réseaux sociaux pour dire « y en a marre, ils nous prennent pour des cons ».

A l’image des mensonges à répétition de Jérôme Cahuzac et de la défense maladroite qui fut ensuite mise en scène, les mots peuvent tuer une carrière politique en discréditant. Qu’il s’agisse de contourner une question embarrassante ou d’éteindre un incendie politique, la bonne formule peut pourtant sauver.

La formule « phobie administrative » utilisée est intéressante. Ce message manifestement de mauvaise foi relève tant d’un réflexe défensif que d’une posture inadaptée à la gestion de la crise que traverse le funeste Secrétaire d’Etat alors que chaque jour un élément nouveau publié l’accable davantage.

Cette formule-choc n’aura contribué qu’à achever son image tout en resserrant encore l’étau de la crise autour de lui. Aucun mot d’excuse ou de reconnaissance de sa responsabilité ne sera formulé, aucune promesse visant à le faire apparaître mobilisé pour que cela ne se reproduise plus non plus ou pour mettre fin à sa situation de contribuable-débiteur. Cette irresponsabilité arrogante exaspère l’opinion publique française et ajoute une crise à la crise. Tout le contraire de ce qu’un élément de langage efficace est censé suscité.

Expression maladroite. Blague de mauvais goût d’un spin-doctor. Elle restera, sans nul doute, un boulet attaché à la réputation de son auteur. Comme le fut d’ailleurs l’expression « responsable mais pas coupable » utilisée par Georgina Dufoix alors Ministre des Affaires Sociales pour tenter de mettre un terme à l’Affaire dramatique du Sang contaminé. Elle finira par être un symbole. Celle de l’irresponsabilité du politique.

Les hommes et femmes politiques doivent aujourd’hui se demander quand la crise les touchera. Ils doivent dès lors s’y préparer pour anticiper au mieux leurs réponses aux risques potentiels qui pèsent sur eux… encore faut-il qu’ils soient suffisamment lucides avec eux mêmes pour les identifier. Cet ex-Secrétaire d’Etat aura tiré une leçon : on ne répond pas à la défiance si bien décrite en 1995 par Alain Peyrefitte, par le mensonge ou le grossier déni. Au contraire parce que… la langue de bois, l’art du contournement ou la tactique de l’esquive, les Français y sont désormais rompus !

Tout ceci nous permet de mesurer à quel point nos politiques n’ont pas encore compris qu’ils doivent considérer l’interview comme une opportunité de faire passer leurs messages-clé.

L’interview n’est pas encore un échange d’égal à égal avec le journaliste. Elle devrait pourtant l’être. Le journaliste n’est pas expert des sujets qu’il aborde. Il n’est pas plus légitime que le politique qui est en charge de sujets parfois majeurs.

Ils sont encore trop peu nombreux à illustrer leurs propos alors que cela les doterait d’une force de conviction bien plus importante. Ils oublient que c’est « l’exemple qui valide l’idée ».

Les formules chocs contribuent à rendre leurs propos vivants mais suffisent pas. Trop peu d’entre eux arrivent à surprendre le journaliste et à rendre l’interview plus captivante pour le public. Pourtant une interview bien menée avec des formules bien choisies, c’est une occasion de ramener à soi un public qui défie et se méfie des hommes et femmes politiques.

Enfin, ils sont encore bien trop nombreux à mépriser la communication non-verbale qui est pourtant très importante lors d’une interview télévisée. Leur attitude générale et leur gestuelle n’accompagnent pas suffisamment naturellement leurs propos, affaiblissant considérablement leur force de conviction.

A eux de mieux préparer leurs interventions médiatiques afin d’incarner, d’humaniser leurs propos. Il s’agit d’illustrer leurs discours et donc de le rendre très concret, plus « humain » et plus proche des réalités des citoyens au quotidien.
Le personnel politique français devrait finalement garder en tête les objectifs qui suivent :

• Se fixer un ou deux messages à diffuser. Ils devraient se demander quelles idées, quels messages doivent-ils faire passer sur les sujets à aborder. Et surtout ne pas perdre de vue leur objectif au fil de l’interview en entrant dans une polémique ou un sujet qu’il ne maitrise pas. Aux Français de comprendre que nos politiques ne peuvent pas être spécialistes de tous les sujets.

• Chaque idée développée doit être suivie d’un exemple concret qui illustre leur propos afin de le rendre plus clair et plus « parlant » pour le grand public.

• Utiliser un langage simple. Ils devraient bannir les termes trop techniques, ou alors les expliquer, et donner des exemples simples et connus du grand public pour illustrer leurs propos.

• Garder le contrôle des interviews auxquelles ils participent. Ils devraient enfin considérer chaque question du journaliste comme une opportunité de faire passer leurs messages-clé.

Ainsi, les Français comprendraient mieux les enjeux auxquels est confronté notre pays. La parole politique gagnerait en crédit… C’est la démocratie qui serait in fine renforcée. L’une des rares à être attentionnée à ces points est Marine Le Pen. Les Français comprennent ses messages. Cela devrait faire réagir les représentants des partis de gouvernement. C’est notre personnel politique tout entier qui devrait apprendre à se concentrer sur la diffusion de son message, encore faudrait-il qu’ils sachent se détacher des éléments de langage des spin-doctor fournis comme du prêt-à-mâcher…

Par Florian SILNICKI (Expert en stratégies de communication),
et Sébastien Chenu (Consultant en communication politique, ex-Directeur de la stratégie de France 24 et conseiller du Délégué interministériel du SIG)

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