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« Parler de ceux qui restent plutôt que de ceux qui partent », Nathan Ambrosioni est venu présenter son nouveau film à Angers à l’occasion du festival Les Capucines

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Nathan Ambrosioni était au Pathé d’Angers hier pour présenter son nouveau film « Les enfants vont bien » au festival Les Capucines du Cinéma Français / Crédit photo: Simonlckx – Les Capucines du Cinéma Français 2025

Le réalisateur français Nathan Ambrosioni, connu pour « Les drapeaux de papier » et « Toni, en famille », est venu à Angers présenter en avant-première son nouveau long-métrage nommé « Les enfants vont bien », à l’occasion du festival des Capucines.

Chaque année depuis 2021, le festival Les Capucines du cinéma français promeut auprès de nombreux spectateurs le septième art comme ce qu’il est, c’est-à-dire une culture à part entière.
Une initiative angevine créée par Sarah Vaillant et Carole-Anne Groisbois-Claveau, née d’une envie de montrer tous ces nouveaux films français à un public qui sort alors du Covid, autre déclencheur du festival.
Depuis, Les Capucines du cinéma français ont fait leur petit bout de chemin, jusqu’à entrer en contact avec le réalisateur français Nathan Ambrosioni à l’occasion de la récompense gagnée par Camille Cottin pour le film « Toni, en famille ». Depuis, les discussions se font occasionnellement entre toutes les parties, jusqu’à cet été en Charente. « On a vu Nathan au festival d’Angoulême et on lui a dit qu’on voulait que son film soit en compétition dans le nôtre », explique Sarah Vaillant, cofondatrice du festival. Problème : le festival Les Capucines, c’est de juin à novembre, et le film sort le 3 décembre. Une petite dérogation, et le film, qui est reparti d’Angoulême avec le Valois de diamant et la mention du jury pour ses jeunes acteurs, s’invite à la fête.
« Sarah et Carole-Anne sont trop chouettes, je suis vraiment content d’être là », jubile Nathan Ambrosioni, « C’est cool, elles payent des places pour que des gens qui ne sont pas du tout cinéphiles aillent au cinéma, c’est une super initiative ».
Le réalisateur français a pu rencontrer des spectateurs hier, lors de la projection en avant-première de son nouveau film. « Certains m’ont dit que c’est grâce au festival qu’ils allaient au cinéma cette année, et maintenant ils voient six films par mois, c’est énorme », explique-t-il, « C’est quelque chose qui démocratise le cinéma, j’ai vraiment insisté pour être ici, ça tient de mon fait. »

Un projet né d’une curiosité devenue captivante

En 2019, Nathan Ambrosioni vient de sortir Les drapeaux de papier, le long-métrage qui le fait rentrer dans la cour des grands puisqu’il devient le plus jeune cinéaste à se voir décrocher une avance sur les recettes du CNC.
Outre le prix du public à Premiers Plans, l’émotion liée à la réussite de ce premier long-métrage laisse rapidement la place à de nouvelles idées, qui germent et gravitent autour de lui.
C’est alors qu’il apprend cette année-là l’existence du droit à disparaître en France. « C’est quelque chose qui m’a troublé, qui m’a bouleversé et que j’ai eu envie de comprendre », assure le principal intéressé, « 15 000 personnes choisissent de partir chaque année, ce n’est pas un petit sujet, mais il est peu abordé. »
Le sujet, il le garde dans un coin de sa tête. Il y pense, pense à ces personnes concernées par le départ inattendu et pour toujours de leurs proches. L’idée de faire un film dessus commence à le hanter, il y pense la nuit, et le choix se dessine par lui-même. « Il y a un moment où je me suis dit que c’était le moment de faire ce film quand je me suis rendu compte que l’idée avait mûri », explique-t-il, « J’ai eu envie de parler de ce qui se passe quand ceux qu’on aime prennent des décisions qu’on ne comprend pas, quand on se met à les attendre… »
Finalement, il fait ce choix de parler d’un drame familial, le thème récurrent de son cinéma, mais cette fois-ci avec un tout autre axe. Ce n’est plus une famille qui se redécouvre comme dans « Les drapeaux de papier », ce n’est plus une famille qui change comme dans « Toni, en famille », c’est une famille qui se construit.
L’histoire, sans trop en raconter, est celle de Jeanne (Camille Cottin), qui voit un beau jour sa sœur, Suzanne (Juliette Armanet), arriver sans prévenir chez elle avec ses deux enfants. Un morceau de sa famille qu’elle n’a pas vu depuis deux ans. Les retrouvailles sont nuancées, quelque chose ne colle pas, quelque chose bloque entre tous ces acteurs. C’est seulement le lendemain que nous comprenons tout. Suzanne est partie, ses enfants, eux, non. Jeanne, Gaspard et Margaux se retrouvent alors dans un nouveau quotidien, bouleversé mais dans lequel ils doivent avancer, non sans mal.

Le jugement comme une action prohibée

Les personnages sont centraux dans les histoires que raconte Nathan. « Je mets beaucoup de choses personnelles dans mes histoires, je me retrouve beaucoup dans le personnage de Gaspard par exemple, je retrouve beaucoup d’amis d’enfance dans Margaux ou des connaissances dans Jeanne », confirme-t-il, « Ils deviennent presque réels, je pense tout le temps à eux. »
Nathan Ambrosioni se prête véritablement au jeu, si bien qu’il écrit parfois des bouts de scènes d’une vie qu’il ne mettra jamais en scène, pour travailler encore plus sur leur personnalité, grâce à leurs réactions.
Une manière d’écrire peu académique, qui l’oblige à avoir peu de personnages, mais il préfère. « Je suis plus facilement perdu quand il y a trop de personnages dans les films », ajoute-t-il. « J’ai regardé Yi Yi d’Edward Yang deux fois pour tout comprendre, et pourtant la deuxième fois ça m’a paru évident, c’est un exemple de ces films qui ont tout un panel de personnages, ce qui les rend durs à suivre. »
Ces personnages, il leur donne une vraie présence à l’écran, et une vraie singularité. Ils n’ont pas la même réaction face à l’absence, et pourtant aucun jugement ne transparaît de l’œuvre, juste un manque, un bouleversement. « Il fallait aller au-delà. C’est très complexe comme sujet, il ne faut pas que moi je juge ; si jugement il doit y avoir, cela doit appartenir au spectateur, mais ce n’est pas le but du film de statuer sur la décision de Suzanne. » ajoute t-il.
On met aussi de côté une colère sèche au profit de quelque chose de très immédiat, d’une envie d’avancer mêlée à de l’incompréhension, un sentiment d’injustice parfois et un petit peu de déni aussi.
« C’est avant tout l’histoire d’une famille qui se détruit, et d’une autre qui se construit », explique le jeune cinéaste, « On commence par le pire, puis on se remet en marche. »

Neuf plus un personnage

Si dans le film il y a neuf personnages, le décor devrait aussi avoir sa place dans le casting tant il prend une place importante, tant il est considéré.
« C’est un film qui parle d’absence, je voulais que le cadre soit large et qu’on se dise qu’il y a de la place pour quelqu’un d’autre, qu’on se questionne sur pourquoi il n’y a personne », précise le réalisateur.
Une manière de filmer qui sort de certains codes occidentaux pour se rapprocher d’une culture asiatique pour qui l’espace est une forme d’extension du sentiment ou de la personnalité.
Il le cite lui-même, le cinéma d’Edward Yang a été quelque chose de marquant, une découverte totale. « C’est là que j’ai véritablement compris l’importance des plans larges et de faire respirer le spectateur », affirme-t-il, « Ça n’enlève pas au spectateur de l’empathie, au contraire, ça bouleverse plus. » Les films de Ken Loach dont il s’inspire ouvertement dans certaines scènes du film le font aussi beaucoup réfléchir.
Il filme un lieu qui n’est pas clairement définissable, on ne peut pas dire où le film se trouve précisément, pour faire comprendre au spectateur que, qu’il soit à Paris ou en province, le sujet est le même.
Un rôle actif au décor, tout comme la caméra qui l’accompagne : elle est fixe, posée plutôt que portée, s’intéressant au sujet comme si elle était un mirador ou un spectateur un petit peu trop intrusif.
« C’est un choix artistique, elle tempère et regarde ce qui se passe, elle ne fait pas partie du récit », s’exclame-t-il. « On a filmé à travers des portes, on a filmé à travers des vitres, pour que le spectateur ait l’impression d’assister à cette vie de famille. »
Un film qui ne comporte que quatre couleurs majoritaires : le marron, le bleu, le gris et le rouge du passé. Un choix qui augmente la symbolique de ces dernières, le détail a son importance. Des couleurs qui sont elles-mêmes mises en valeur par un travail de lumière marqué, entre la netteté et la froideur du jour, et le jeu d’ombre et de couleurs chaudes du soir.

Une grande actrice pour porter et driver le film

Pour la deuxième fois, Nathan Ambrosioni a tourné avec à l’affiche Camille Cottin. « Je l’adore, plus qu’une découverte professionnelle, c’est devenue une amie », explique-t-il. « J’adore sa carrière, elle est passée de Connasse à des films américains tout en restant aussi beaucoup dans des propositions françaises moins grand public, j’adore ses choix. »
Il s’est énormément inspiré de sa personnalité et de sa palette élargie d’actrice pour écrire son rôle et le film, dont elle a été un élément moteur.
De l’expérience supplémentaire donc, en plus de Juliette Armanet, moins présente dans le film, pour aider Nathan Ambrosioni à diriger ses acteurs.
Si Camille Cottin est à l’affiche, elle la partage avec deux enfants, Nina Birman et Manoä Varvat, un défi supplémentaire qui est passé par un casting long, des choix d’acteurs évidents et une réussite à l’écran.
« On a fait énormément attention à ne pas les brusquer, ne pas créer de traumatisme comme ça a malheureusement trop été fait dans le cinéma », dévoile Nathan Ambrosioni. « Il ne fallait pas qu’ils subissent le tournage, eux aussi devaient prendre du plaisir. »
Une démarche qui découle d’une considération de l’individu à l’origine plus que de « l’enfant du film ». Le résultat est là : des acteurs motivés qui s’amusent, nous donnant au passage quelques sourires sincères à l’écran, chaleureux.

Une sortie en décembre, et de l’optimisme

« J’espère que les gens vont aimer », lance Nathan Ambrosioni.
Si l’année passée le cinéma français avait connu un grand succès hexagonal, porté par des succès populaires remplis à la fois de grosses productions mais aussi de films intimes et touchants, le cru 2025 est différent.
Avec un Cannes assez pauvre, des sujets et des têtes d’affiche qui ont moins su attirer — sans forcément être une année moins qualitative bien sûr — les films français ont moins rassemblé. Hormis « God Save the Tuche » (2,9 millions d’entrées), aucun film français ne figure dans le top 10 2025 des films ayant, pour l’instant, fait le plus d’entrées.
Là n’est pas la prétention du film et de Nathan, qui préfère plaire plutôt que générer, mais il y a une petite pression. « J’ai conscience que c’est un sujet pas facile, je sais aussi que cette année est compliquée pour le cinéma français, c’est du temps qu’on demande aux gens », précise le réalisateur. « Pour l’instant, les retours de la critique, des médias et des spectateurs sont bons, c’est le plus important. »
Après trois longs-métrages, une base de spectateurs ayant confiance en ses films s’est aussi et sans doute créée, de quoi nourrir un espoir supplémentaire.
Il y a en tout cas une dimension pragmatique qui découle de la réussite ou non de « Les enfants vont bien » : l’existence de projets futurs.

Seront-ils plus poétiques, en lien avec une scène asiatique dont il s’inspire, ou nous prendra-t-il à contrepied en changeant totalement de style ?
Seul l’avenir nous le dira, et le festival Les Capucines nous le contera.

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