Justice
Le démantèlement du trafic XXL de cannabis de Cholet n’est pas le fruit d’une « surveillance de masse » pour la Cour de cassation
La Cour de cassation a rejeté ce mardi 7 janvier 2025 le pourvoi qui avait été formé par un habitant de la région de Cholet (Maine-et-Loire) qui doit prochainement être rejugé dans une affaire d’importation de deux tonnes de cannabis.
L’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation aurait pu être historique et déstabiliser les centaines d’affaires de trafics de drogues mises au jour par le démantèlement de la messagerie canadienne cryptée SkyECC. L’avocat de ce Choletais de 34 ans a ainsi annoncé ce vendredi à PressPepper son intention de saisir la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).
Le client de Me Fabian Lahaie a en fait été condamné en juillet 2024 à cinq ans de prison par la Juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Rennes. Pour rappel, dans cette affaire, le démantèlement de la « messagerie du crime » avait permis de révéler l’existence d’une « bande organisée » de trafiquants choletais ayant importé 2,4 tonnes de cannabis depuis le Maroc entre 2020 et 2022. Le lieu de stockage se trouvait d’ailleurs précisément à Mazières-en-Mauges.
Seize personnes avaient donc été renvoyées devant le tribunal correctionnel de Rennes dans sa formation JIRS. A l’audience, en juillet 2024, la situation procédurale particulière de ce dossier avait d’ailleurs conduit à une vive passe d’armes entre l’ancienne présidente de la JIRS de Rennes et les avocats de la défense.
PAS DE « DETOURNEMENT » DE LA MESURE
Me Fabian Lahaie avait sollicité – en vain, donc – le renvoi de l’affaire puisque la Cour de cassation ne s’était pas encore prononcée sur les nullités soulevées dans ce dossier, relatives aux conditions d’exploitation de la messagerie cryptée SkyECC, s’apparentant, selon le pénaliste, à « une surveillance de masse ».
Sur le plan procédural, l’avocat rennais s’était vu opposer un premier refus de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Rennes à l’issue d’un « supplément d’information ». Il avait donc porté l’affaire devant la Cour de cassation et avait obtenu un « examen immédiat » de son pourvoi, une décision « extrêmement rare » selon un de ses confrères.
La présidente de la JIRS de Rennes avait malgré tout retenu l’affaire et prononcé le 16 juillet 2024 des peines allant du sursis simple à douze ans de prison ferme. Une partie des protagonistes du dossier ont fait appel de la décision, dont son client, utilisateur de la messagerie cryptée. Dans l’attente de l’examen de son pourvoi devant la Cour de cassation, la cour d’appel de Rennes avait accepté d’attendre que toutes les nullités soient purgées pour évoquer l’affaire au fond.
Sous couvert d’une « mesure d’interception de communications ou de captation de données », les enquêteurs avaient en fait « procédé, sans autorisation spécifique, à la géolocalisation du matériel informatique utilisé par plusieurs mis en cause », explique l’avocat rennais. Mais « aucun détournement de la mesure (…) aux fins de contourner le dispositif légal (…) ne peut (…) être sérieusement allégué », lui rétorque la chambre criminelle de la Cour de cassation. « La simple exploitation fine de ces données informatiques, alliées aux interceptions, a conduit, sans autres mesures coercitives ou d’ingérence (…), à la réunion d’indices de la commission de faits nouveaux distincts et d’éléments d’identification de leurs auteurs. »
« UN MILLIARD » DE MESSAGES EXPLOITES
Au total « un milliard de messages » émanant de 117.000 personnes, dont 3.000 en France, avaient été exploités après le démantèlement de SkyECC. Me Fabian Lahaie y voyait donc une manière de « capter de manière massive, générale et indifférenciée » les données. Cela portait donc une « atteinte disproportionnée à la vie privée », selon lui.
Reste que ces mesures n’ont été ordonnées « qu’à l’encontre d’utilisateurs d’un moyen de cryptologie non déclaré (…) et utilisé aux fins d’activités illicites afin d’en garantir la clandestinité », tranche la Cour de cassation.
« Cette décision peut se comprendre sur le plan de l’ordre public, en ce qu’elle permet de sécuriser les nombreuses procédures en cours », convient ce vendredi 10 janvier 2025 Me Fabian Lahaie. « Mais alors que notre loi ne dispose pas d’un dispositif légal encadrant précisément et avec des garanties suffisantes les captations de données massives et indéterminées, l’arrêt n’y apporte pas davantage de précision. En termes de libertés individuelles, la question demeure de savoir si la vie privée des justiciables est suffisamment protégée contre l’immixtion arbitraire que constitue la captation des données d’un serveur. »
« Peut-on d’une manière générale tolérer l’interception de tous les échanges d’une messagerie même cryptée au motif d‘une présomption d’usage générale illicite ? », s’interroge l’avocat rennais. La CEDH pourrait donc se saisir de cette question dans les années à venir, sous l’impulsion de cette affaire choletaise. Mais dans l’immédiat, puisque toutes les voies de recours internes ont été épuisées, le procès en appel, fixé au 4 avril 2025, pourra donc bien se tenir avec un dossier complet, puisqu’aucun acte de procédure n’a été annulé./CB