Cholet
Le bannissement « jour et nuit » des SDF à Cholet censuré en urgence par la justice administrative

Le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a suspendu l’arrêté du maire de Cholet (Maine-et-Loire) qui avait interdit le 4 novembre 2024 tout « regroupement » sur la voie publique de « personnes portant atteinte au bon ordre, à la tranquillité et la salubrité publique ».
Par le même arrêté, Gilles Bourdouleix (ex-LR) – qui s’était présenté sans succès sous la bannière du Rassemblement national (RN) lors des dernières élections législatives dans la 5e circonscription de Maine-et-Loire – avait aussi « réglementé la consommation de boissons alcoolisées » et interdit la « pratique de la mendicité » pour cinq mois, jusqu’au 31 mars 2025.
La Ligue des Droits de l’Homme (LDH) avait alors saisi la justice administrative le 3 janvier 2025 : cette « interdiction de procéder à la mendicité » avait « des effets concrets » sur la situation des personnes sans domicile fixe et sur « l’exercice de leurs libertés ». Cet arrêté « rédigé en des termes généraux et stéréotypés », sans faire état de « circonstances locales » qui le justifieraient, portait en effet atteinte à leur « liberté d’aller et venir » mais aussi à leur « liberté de réunion », deux « libertés fondamentales » pourtant consacrées par la Constitution.
« Il ne précise pas en quoi la présence de personnes sollicitantes sur la voie publique (…) aurait particulièrement été à l’origine d’incidents graves ou de troubles (…) importants », détaillait la LDH. « Si la commune a produit deux extraits de main-courante, l’un de 2023 et l’autre de 2024, rares sont ceux faisant état de troubles à l’ordre public. »
UNE « RECRUDESCENCE DE PLAINTES » AUPRES DES « SERVICES DE POLICE »
« La seule référence à l’atteinte au « bon ordre » (…) comme la référence à la notion de « regroupement » sont trop imprécises pour permettre aux autorités (…) de réprimer l’infraction et aux destinataires de l’arrêté d’identifier le comportement à adopter pour ne pas le méconnaître », argumentait encore l’association. Cette « atteinte au principe de dignité humaine et de fraternité », était enfin « disproportionnée » puisqu’il couvre l’entièreté du territoire » de Cholet et qu’il a « vocation à s’appliquer jour et nuit pendant (…) cinq mois ».
« La seule présence de personnes dites « marginales » qui sollicitent la charité ou qui consomment de l’alcool dans l’espace public ne constitue pas en soi un trouble », développait son avocate. De son côté, la ville de Cholet estimait que la LDH n’avait pas d’intérêt à agir dans cette affaire puisque les « personnes morales ayant un objet national » comme cette association de défense des libertés publiques « ne sont pas recevables à demander la suspension d’un arrêté municipal ».
Sur le fond, la ville estimait que son arrêté concernait « uniquement une partie délimitée du territoire » communal et qu’il « n’a pas pour effet (…) de renvoyer à la périphérie » les SDF. La « recrudescence de plaintes recueillies par les services de police » justifiait en tous cas une telle mesure. « Ces incidents sont principalement imputables à des regroupements d’individus alcoolisés dont le comportement, tant en journée qu’en soirée, perturbe les activités commerciales et la tranquillité publique« , développait l’avocate de la ville de Cholet.
« La pratique de la mendicité se trouve encadrée uniquement sur (…) quelques mois » relativisait-elle par ailleurs devant le juge des référés du tribunal administratif de Nantes. « Ceux souhaitant exercer leur droit d’aider autrui peuvent continuer à le faire. »
UNE « PARTIE IMPORTANTE » DE LA COMMUNE CONCERNEE
Dans une ordonnance en date du 22 janvier 2025 qui vient d’être rendue publique, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes commence déjà par dire que la LDH était en droit d’attaquer un tel arrêté municipal. « L’arrêté (…) est de nature à affecter de façon spécifique la liberté d’aller et venir de personnes, en particulier celles (…) en situation précaire (…), et revêt, dans la mesure où il répond à une situation susceptible d’être rencontrée dans d’autres communes, une portée excédant son seul objet local », déblaye ainsi le magistrat.
Il y a par ailleurs bel et bien « urgence » à suspendre à une telle décision « eu égard à la limitation substantielle et durable » qu’elle apporte à « la possibilité d’utiliser et d’occuper l’espace public » et de l’atteinte « suffisamment grave et immédiate » à la liberté d’aller et venir » des personnes concernées. L’arrêté anti-mendicité de Gilles Bourdouleix porte aussi « atteinte » aux « intérêts collectifs » que défend la Ligue des droits de l’Homme. En outre « il n’est pas sérieusement fait état » par la ville de Cholet d’un « intérêt » qui justifierait son maintien.
Enfin, et surtout, sur le fond, l’argument de la LDH sur le caractère « disproportionné » d’une telle interdiction a convaincu le juge des référés du tribunal administratif de Nantes : cette « mesure d’interdiction » a été « prise pour cinq mois », sur « une partie géographique importante de la commune », « sans aucune limitation horaire » et « en l’absence d’éléments suffisamment précis et convaincants » sur la « réalité » des « troubles » invoqués par Gilles Bourdouleix. Le juge a donc un « doute sérieux » sur la légalité de l’arrêté du maire de Cholet.
L’arrêté a dans ces conditions été temporairement suspendu et le tribunal administratif de Nantes se repenchera sur sa légalité par le biais d’une formation collégiale de trois juges, d’ici dix-huit mois à deux ans désormais, bien que l’arrêté aura cessé de porter ses effets d’ici là. Le jugement pourrait néanmoins servir de base de travail à la ville de Cholet si elle souhaite prendre un nouvel arrêté anti-mendicité, afin que celui-ci ne soit plus censuré à l’avenir par la justice administrative./GF