Justice

Le fantôme de l’ancien exploitant du château de la Perrière revient hanter les élus d’Avrillé avec ses dédommagements « pharaoniques »

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Château de la_Perrière – Crédit Wikipédia nono Vlf

L’ancien exploitant du restaurant gastronomique du château de la Perrière a demandé à la cour administrative d’appel de Nantes, ce mardi 12 décembre 2023, d’annuler la résiliation du contrat qui le liait à la mairie d’Avrillé (Maine-et-Loire) pour occuper ce monument historique du XVIIe siècle et de la condamner à lui verser plus de 30 millions d’euros de dédommagements.

Pour rappel, la municipalité entendait céder le château, son parc et son golf attenant à l’homme d’affaires américain Zaya Younan, déjà propriétaire du domaine du Petit-Chêne à Mazières-en-Gâtine (Deux-Sèvres) : ce milliardaire d’origine iranienne avait en effet trouvé un accord avec le maire de l’époque Marc Laffineur (LR) pour reprendre le domaine et y construire un hôtel cinq étoiles « de 70 chambres à 100 chambres ».

Mais la Société d’exploitation des Garden Resorts (SEGR), qui gérait le site depuis 2008 avec l’objectif d’y aménager elle-même un hôtel, ne l’avait toutefois pas entendu de cette oreille et avait saisi la justice administrative.

Cette société appartenant à un fonds d’investissement dirigé par Hadrien Ormieres, entrepreneur bordelais investi dans le « patrimoine hôtelier », n’avait toutefois obtenu que très partiellement gain de cause en première instance : en juin 2022, le tribunal administratif de Nantes ne lui avait alloué que 44.000 € de dédommagements.

LES « DIFFICULTES » DE L’ARCHITECTE ONT « PERDURE »

Ce mardi 12 décembre 2023, lors du procès en appel, la rapporteure publique a donc commencé par rappeler l’historique du contentieux : la ville d’Avrillé, propriétaire « depuis les années 1980 » de cet « atout pour l’attractivité de son territoire », avait conclu en 2008 une convention d’une durée de dix-huit ans avec la SEGR pour que celle-ci y développe une activité de « séminaires et événements festifs ».

Une « activité de négoce de meubles » avait également été autorisée et le « développement d’une activité hôtelière » envisagé, en contrepartie d’une redevance annuelle indexée sur le chiffre d’affaires. « Une partie du parc » du château devait donc être cédée par la commune « pour y construire un établissement hôtelier » et la SEGR avait alors trois ans pour réaliser ce projet, avec une ouverture envisagée en mai 2011.

Mais la Société d’exploitation des Garden Resorts n’a « pas été en mesure d’atteindre les objectifs » qui lui avaient été assignés, a expliqué la rapporteure publique : son architecte a « rencontré des difficultés » pour faire cohabiter l’hôtel avec le monument historique voisin. La société n’avait « pas réuni les financements nécessaires » pour faire aboutir le projet, a aussi déclaré la magistrate aux trois juges nantais.

Un délai supplémentaire avait alors été accordé à la SEGR mais « les difficultés ont perduré » au point qu’elle ne règle plus à partir de 2014 les redevances qu’elle devait à la collectivité. C’est dans ce contexte qu’une résiliation « pour motif d’intérêt général » avait été prononcée en 2017 par le conseil municipal d’Avrillé et que le domaine avait donc été confié au milliardaire Zaya Younan.

LES « FAUTES » DE L’ANCIEN MAIRE MARC LAFFINEUR

L’ancien exploitant avait par la suite demandé à la justice d’ordonner à la ville d’Avrillé de « reprendre leurs relations contractuelles », mais elle avait été successivement déboutée en référé en 2018 et sur le fond en 2020 par le tribunal administratif de Nantes et en 2021 par la même cour administrative d’appel de Nantes. Le Conseil d’Etat n’avait enfin pas admis son pourvoi en 2022, mettant un terme à ce volet du contentieux.

Ce mardi 12 décembre 2023, la rapporteure publique a donc rappelé aux juges nantais qu’ils s’étaient « déjà prononcés sur le bien-fondé » de la résiliation de la convention qui liait la SEGR et la ville d’Avrillé : celle-ci était « fondée » sur « l’absence de réalisation de l’établissement hôtelier » et sur le « défaut de paiement de la redevance » due à la commune. « Ses arguments n’ont pas convaincu le Conseil d’Etat », a-t-elle souligné.

La SEGR rappelle toutefois que le second motif ne pouvait en réalité pas être invoqué par la ville d’Avrillé : la société avait en effet introduit une requête en justice pour faire annuler ces redevances, et elle a obtenu gain de cause dans un premier temps devant le tribunal administratif de Nantes. Mais c’était seulement « pour un vice de forme », a rappelé la rapporteure publique, et la municipalité a pu depuis corriger sa copie.

L’ancien exploitant du château de la Perrière estime aussi que l’ancien maire d’Avrillé Marc Laffineur a commis des « fautes » de nature à engager la responsabilité de sa commune dans cette affaire : il a fait « des déclarations à la presse sur de prétendues difficultés financières » de la société et c’est cette « atteinte à sa réputation » qui aurait été « à l’origine de la baisse de chiffre d’affaires » de la société.

DE « NOMBREUX » RETARDS MAIS « PAS IMPUTABLES » A L’EXPLOITANT

Mais ces déclarations ne sont « pas fautives », a objecté ce mardi 12 décembre 2023 la rapporteure publique, pas plus que le « rejet » par la commune de son « offre d’acquisition du château » de la Perrière. Elle a donc conclu au rejet de la requête de la SEGR et à ce qu’elle soit condamnée à verser 1.500 € de frais de justice à la ville d’Avrillé dans chacun des deux dossiers examinés par la cour administrative d’appel.

L’avocat de l’ancien exploitant du restaurant maintient toutefois qu’une « clause asymétrique de résiliation » au « seul profit » de la société était prévue dans la convention de 2008 « si le projet d’établissement hôtelier ne pouvait se faire ». « Les deux parties avaient en effet conscience de la difficulté de réaliser un tel projet aux abords d’un monument historique », a-t-il dit aux trois juges nantais.

Concernant son « défaut de paiement » des redevances, l’avocat de la SEGR a souligné que la société s’est « bornée à utiliser son droit au recours » en justice et que celui-ci avait « suspendu l’exigibilité » des sommes ; elle ne s’était donc « pas soustrait à ses obligations », en a-t-il déduit.

« Les retards du projet, qui sont nombreux, ne sont pas imputables à la société : il y a eu des erreurs de la commune dans la procédure d’expropriation et dans la délivrance du permis de construire », a-t-il insisté. « La société avait par ailleurs obtenu un engagement ferme des banques. »

LES « FAUSSES NOUVELLES » DIFFUSEES PAR LA COMMUNE

Les « perturbations de la commune » par le biais des déclarations de son maire sont par ailleurs « amplement documentées » : elle a « diffusé de fausses nouvelles » en « laissant croire » que la société était « en difficulté financière » et « en prétendant » que la convention allait se terminer « fin 2017 », a-t-il répété. « Il y a eu une panique chez les gens qui avaient pris des réservations et qui les ont toutes annulées », a-t-il certifié.

« Alors que le résultat net aurait dû être de + 84.000 €, il a été déficitaire mais du fait d’une erreur de plume ; en réalité, il était légèrement bénéficiaire », a-t-il assuré. Il a d’ailleurs invité les juges à « se rendre sur place » pour voir que Zaya Younan n’a pas non plus réalisé d’hôtel à côté de son restaurant Le Sévigné. « Aucun projet n’est en cours ou en perspective, et il n’y en aura aucun », en a conclu l’avocat de la SEGR.

L’avocat de la ville d’Avrillé – qui réclame 20.000 € à la SEGR pour ses frais d’avocats – a lui invité les juges nantais à ne pas se baser sur les « éléments tronqués » et « mésinterprétés » par l’ancien exploitant du restaurant.  « Entre-temps, il y a eu le Covid, qui a mis à mal le secteur immobilier », a-t-il expliqué. « On ne peut donc pas dire qu’il n’y aura jamais aucun projet… Vous devez juger en se replaçant dans le contexte de l’époque. » La cour administrative d’appel de Nantes, qui a mis sa décision en délibéré, rendra son arrêt dans un mois environ.

« Une parcelle lui a été vendue, un permis de construire a été instruit… Dans cette histoire, la commune a fait sa part du travail », avait déjà dit l’avocat de la ville lors de la toute première audience de référé en 2018. « Elle a continué à laisser sa chance à la SEGR, qui aujourd’hui monnaye sa sortie. » Il avait aussi reproché à la SEGR son « usage intempestif de la presse et des e-mails des élus » dans cette affaire. « Tous sont mis en copie des courriers envoyés au maire, pour leur rappeler les montants pharaoniques qui seront réclamés à la commune », avait-il grincé./GF

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