Culture

Hébergée au Musée des Beaux Arts d’Angers, une œuvre d’art spoliée par les nazis restituée aux ayants droit.

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© Agraci. © Angers, musées. © Angers, musées, P. David. © Réunion des musées nationaux Grand Palais.

La ministre française de la Culture, Rima Abdul Malak, a remis aujourd’hui aux ayants droit d’Agathe et Ernst Saulmann un tableau sur bois de l’école florentine du XVe siècle intitulé « Scène de bataille: Siège de Carthage par Scipion Émilien » qui se trouvait au musée des Beaux-Arts d’Angers

La ministre a également annoncé qu’elle présenterait mercredi en Conseil des ministres le projet de loi visant « à faciliter d’autres restitutions d’œuvres » spoliées par l’Allemagne nazie, a précisé son ministère.

Le tableau sur bois sur bois rendu ce mardi faisaient partie des biens dits « Musées nationaux Récupération » (MNR), soit 2.200 œuvres sélectionnées au début des années 1950 parmi celles retrouvées en Allemagne à la fin de la Seconde Guerre mondiale, rapportées en France et non restituées.

Le tableau « Scène de bataille: Siège de Carthage par Scipion Émilien » , passé par la France pendant l’Occupation et trouvés en Allemagne dans la collection de Hermann Goering, fut rapatriés en France à la Libération, sans que leur propriétaire soit identifié. Ils ont été sélectionné comme œuvres MNR en 1949.

Les époux Agathe et Ernst Saulmann, femme photographe et industriel du textile, possédaient une importante collection d’œuvres d’art. Contraints de fuir l’Allemagne nazie en 1935 en raison des persécutions antisémites, ils ont émigré en Italie puis en France.

Cette œuvre avait été mise en avant lors d’une exposition en 1993-1994 « Le Matin des peintres, tableaux sur bois du XIVe au XVIe siècle des musées d’Angers » au Musée des Beaux Arts d’Angers

Historique de cette œuvre

Le panneau de cassone, comme la Vierge à L’Enfant de l’école padouane du XVe siècle (MNR 253), faisait partie de la collection viennoise Tucher, vendue par la maison de ventes aux enchères Cassirer et Helbing à Berlin le 8 décembre 1925. Le lot 63 (MNR 246), comme le lot 64 (MNR 253), avait été acheté par Ernest Saulmann (1881-1946) (1). Ernst et Agathe Saulmann (1898-1951) possédaient une importante collection d’antiques, de sculptures, de peintures de Maîtres anciens, de majoliques, de tapisseries, de peintures du XIXe siècle, de meubles et d’objets d’art.

Cette collection était répartie entre leur villa l’Erlenhof, près de Pfullingen (Bade-Wurtemberg) et leur villa de Florence, acquise en 1921 par Ernst Saulmann (2). Ernst et Agathe Saulmann avaient des attaches avec la ville de Florence depuis les années 1920. A cette période, ils sont déjà très proches du Kunsthistorisches Institut (KHI, Institut d’histoire de l’art) de Florence.

C’est pourquoi, lorsqu’en décembre 1935, le couple décide de fuir les persécutions en Allemagne, il choisit Florence comme lieu d’exil. Ernst Saulmann est contraint de vendre la villa l’Erlenhof, près de Pfullingenen en 1936 et de nommer son ancien collaborateur gérant de son entreprise Mechanische Baumwollweberei.

La même année, leur collection d’art, confisquée par les autorités allemandes, est vendue lors de cinq ventes aux enchères par la maison de ventes aux enchères Weinmüller à Munich, en association avec le marchand d’art Julius Böhler. Le couple Saulmann est entièrement spolié de sa collection ; il ne perçoit rien du produit de la vente (3). Le panneau de cassone n’a pas été proposé à la vente lors des ventes de Weinmüller à Munich. Il se trouvait certainement déjà à Florence.

Par crainte des persécutions antisémites italiennes, Ernst et Agathe Saulmann vendent leur villa en septembre 1938 et quittent Florence pour Nice. Les archives historiques du bureau d’exportation de Florence conservent une licence d’exportation de Florence vers Nice datant d’octobre 1938, accordée à la demande d’Agathe Saulmann, pour divers meubles, objets et œuvres d’art (4). La documentation comprend des photos et différentes listes, décrivant les objets en détail et précisant s’ils avaient été importés d’Allemagne ou achetés en Italie. Un « Cassone dipinto » pourrait correspondre au MNR 246, mais sans description plus précise, il n’est pas possible d’en être certain.

En 2020, la photographie du panneau de cassone a été découverte, avec celle du MNR 253, dans la photothèque de l’Institut allemand d’histoire de l’art de Florence (Kunsthistorisches Institut in Florenz – KHI). Les Saulmann étaient très proches de cette institution : ils étaient membres de l’association pour la promotion du KHI et mécènes de l’Institut. Ces photographies auraient été données par Ernst Saulmann au KHI entre 1928 et 1939. L’acquisition de la photographie du panneau de cassone par le KHI date de 1939 (5). Le panneau de cassone est décrit en 1936 comme appartenant à la collection Saulmann (« L’Assedio di Cartagine nella raccolta Saulmann a Firenze ») dans l’ouvrage de Mario Salmi, Paolo Uccello, Andrea del Castagno, Domenico Veneziano, à la page 114. Le parcours de l’œuvre jusqu’à 1941 n’est pas connu. On retrouve sa trace en 1941 chez le marchand d’art Paul Tulino à Paris (6) : le marchand d’art allemand Walter Bornheim l’achète pour 375 000 F (7). Ce dernier le revend à Friedrich Flick, qui l’offre à Hermann Goering en cadeau de Noël le 24 décembre 1941 (8). Le panneau de cassone, comme le MNR 253 également acheté par Bornheim et offert à Goering, est déposé à Berchtesgaden. Le panneau est enregistré sous le numéro 483. Le 29 juillet 1945, le panneau de cassone arrive au Collecting Point de Munich, enregistré sous le numéro 5528.

Le 19 octobre 1946, l’œuvre est rapatriée vers la France par le douzième convoi en provenance de Munich. Les autorités américaines semblent avoir fait le lien entre le MNR 246 et la propriété Saulmann, comme retranscrit dans la fiche NARA de 1946 : « City : Florence Italy/Monument : Priv. Coll. Saulmann (1928)/Holdings: 15th century Florence cassone (Tournament Master) ». Les changements d’attribution n’ont cependant, semble-t-il, pas permis de relier cette fiche NARA au panneau de cassone devenu MNR. Le panneau est retenu lors de la quatrième commission de choix des œuvres de la récupération artistique le 21 décembre 1949 (9). Il est attribué au musée du Louvre (département des peintures) par l’Office des Biens et Intérêts Privés en 1950. En 1952, le MNR 246 est déposé au musée des Beaux-Arts d’Alger. Il revient au musée du Louvre en 1961 puis est déposé en 1969 à Angers au musée des Beaux-Arts (échange Campana) (10). Les services de la Première ministre ont décidé la restitution le 15 décembre 2022

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