Justice
Le vendeur de bois non déclaré des Cerqueux se voit restituer 204.000 € après avoir été filmé par l’émission « 90′ Enquêtes »
La cour d’appel de Rennes a ordonné ce jeudi 28 novembre 2024 la restitution de 203.000 € saisis à un vendeur de bois de chauffage des Cerqueux (Maine-et-Loire) qui n’avait pas déclaré son activité.
La perquisition et la garde à vue de Gérard XXX avaient en fait été réalisées devant les caméras de l’émission « 90′ Enquêtes », lors d’un reportage intitulé « Fraudeurs, escrocs : enquête sur les rois de la magouille » et diffusé le 3 décembre 2014. Les enquêteurs s’étaient en fait aperçus que cet ancien agriculteur vivant chez ses parents n’avait « aucune activité professionnelle déclarée » depuis 2001 alors qu’il s’adonnait en réalité à une activité de « vente de bois de chauffage » sans être inscrit au Registre du commerce et des sociétés (RCS).
Chaque semaine, des camions de transports se rendaient sur les terres agricoles de la famille de cet homme de 61 ans qui exploitait les terres de son propre frère pour son activité pour « amener du bois » ou en « récupérer ». Ensuite, Gérard XXX passait des annonces sur le journal gratuit « Le Hic Cholet » ou sur le site d’annonces « Le Bon Coin » pour vendre son bois. Il avait aussi bénéficié de « l’aide » de trois personnes qui n’étaient pas déclarées, mais bien rémunérées. Sur cinq ans, il aurait perçu « un million d’euros de chiffre d’affaires ».
Les investigations sur ses comptes bancaires avaient aussi permis de constater qu’il bénéficiait de « 404.000 € » d’épargne étant alimentée par « des remises de chèques conséquentes » sur son compte professionnel. Il n’avait en revanche effectué « aucune dépense » depuis ce compte professionnel.
« ON SAIT PERTINEMMENT DE QUI L’ON PARLE »
Entre le 31 janvier 2010 et le 31 janvier 2013, 374.000 € avaient été déposés par chèques sur ses comptes qui avaient atteint, en mai 2014, un solde créditeur de 445.000 € et de 117.000 € dans une autre banque, alors même que Gérard XXX n’était pas « imposable » et qu’il avait même perçu des « primes » de l’Etat « eu égard à la faiblesse de ses revenus ».
Une perquisition avait donc été réalisée au domicile de ses parents, le 19 juin 2014, le tout filmé par les caméras du « magazine d’information » 90′ Enquêtes, diffusé sur TF1+ : son matériel agricole et des documents administratifs avaient alors été saisis. Le jour-même, alors qu’il était toujours filmé par les journalistes, il avait été placé en garde à vue et avait alors reconnu que « les sommes présentes sur ses comptes (…) étaient issues de la vente de bois ».
Gérard XXX avait aussi admis avoir « modifié l’ordre des chèques émanant de ses clients pour payer les factures des transporteurs et des scieries », mais soutenait que « tous ceux qui avaient les chèques étaient aussi responsables que lui ». Il n’avait pas non plus « jugé utile » de déclarer ses collaborateurs puisque « leur travail était très occasionnel ».
Le sexagénaire avait donc été renvoyé devant le tribunal correctionnel d’Angers, le 21 juin 2019, qui l’avait condamné à dix-huit mois de prison avec sursis et à dix ans d’interdiction de gérer, mais lui avait surtout saisi l’ensemble des sommes présentes sur ses comptes bancaires.
« UNE COMMUNE RURALE NON LOIN D’ANGERS »
La condamnation avait été confirmée par la cour d’appel d’Angers, mais un « pourvoi » a été formé contre cette décision : la cour avait statué « sans mentionner la demande de renvoi » formulée par son avocat qui n’avait « pu avoir accès » au dossier pénal. La Cour de cassation avait donc renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Rennes, où, comme à chaque fois, Gérard XXX s’était fait « porter pâle ». Mais il était représenté par son avocat.
Lors de l’audience du 10 octobre 2024, Me Henry Ermeneux avait ainsi déploré la « présence des journalistes » lors des actes d’enquête : le reportage mentionnait « le nom du directeur d’enquête », évoquait « une commune rurale non loin d’Angers », précisait « le nom du chien » des forces de l’ordre et la « présence d’espèces » à son domicile. Le placement en garde à vue de son client avait aussi été « filmé et diffusé » par les journalistes.
Or « la présence de ces journalistes n’est absolument pas mentionnée en procédure » et « on sait pertinemment de qui l’on parle », avait développé l’avocat. « Et quand bien même la personne n’est pas identifiée, la chambre criminelle de la Cour de cassation est limpide : la simple présence de tiers constitue une violation du secret de l’enquête », avait-il rappelé.
« Ce reportage a des effets dévastateurs sur la procédure pénale qui vous est soumise aujourd’hui », avait pour sa part convenu l’avocate générale. « Il en va de soi que la présence de journalistes entache de nullité la garde à vue, la perquisition et les actes subséquents, dont la saisie du matériel. »
IL SE FAIT RESTITUER 204.000 €
« La présence d’un tiers ayant obtenu d’une autorité publique l’autorisation de capter, par le son et l’image, fût-ce dans le but d’informer le public, le déroulement des actes d’ enquête auxquels procèdent ces agents ou fonctionnaires, constitue une violation de ce secret », confirme la cour dans son arrêt du 28 novembre 2024. Cette « violation » porte « nécessairement atteinte aux intérêts » de Gérard XXX.
Au final, le vendeur de bois des Cerqueux pouvait « être aisément identifié », au moins « par des résidents à proximité », ce qui lui cause bien un « grief ». « Dans ces conditions, il convient de prononcer l’annulation de la mesure de garde à vue, des opérations de perquisition et des actes dont elles sont le support, soit la saisie de l’ensemble du matériel agricole et de la somme de 1.900 € en espèces », en déduit la 11e chambre de la cour d’appel de Rennes.
La cour a donc confirmé sa culpabilité sur l’ensemble des délits qui lui étaient reprochés, ainsi que sa condamnation à dix-huit mois avec sursis et à dix ans d’interdiction de gérer. Conformément à ce qu’avait réclamé l’avocate générale, Gérard XXX s’est aussi vu infliger une amende de 2.000 €.
Sur les saisies financières, « le montant des cotisations éludées » à l’URSSAF s’élève à « 265.347 € » auxquels s’ajoutent donc l’amende de « 2.000 € » et « 1.000 € de dommages et intérêts » pour l’URSSAF. La cour a donc ordonné la confiscation de 268.347 € mais a en revanche ordonné la restitution de 204.000 €, de ses factures, de son véhicule et du matériel agricole./CB