Justice
Le prothésiste « payé à ne rien faire » au CHU d’Angers réclame à présent 360.000 € de dédommagements

Un ancien prothésiste facial « payé à ne rien faire » au CHU d’Angers (Maine-et-Loire) a demandé au tribunal administratif de Nantes, ce jeudi 23 janvier 2025, de condamner son ancien employeur à lui verser 360.000 € de dédommagements pour cette forme de « harcèlement moral ».
Laurent Bouchard – qui était habitué à reconstruire les visages de « blessés de guerre », de personnes ayant tenté de « se suicider par arme à feu », de victimes d’un « accident de la circulation » ou bien encore de patients atteints d’un « cancer du fumeur » (palais, gorge…) – avait en effet observé que le nombre de prothèses qui lui était commandé par les médecins avait baissé « à compter de 2015 » au point qu’il soit même « inemployé en 2019 et 2020 », date de son départ à la retraite.
Ses tâches ont depuis été confiées à une consœur libérale de Metz (Moselle), qui fait « 800 km » pour venir honorer les commandes des médecins du CHU d’Angers a souligné l’avocat du requérant.
Ce représentant du personnel a mis sa « placardisation » en lien avec le fait qu’il avait « contredit les fausses accusations de la direction » dans une précédente affaire de « harcèlement moral » dont était accusé un agent sur une cadre de santé. « A partir de ce jour, il a été placardisé », a résumé Me Berr lors de l’audience publique.
Le CHU d’Angers a pour sa part justifié cette « évolution » de ses fonctions par « l’intérêt du service » public hospitalier : la « compétence technique » de cet épithésiste ne lui permettait pas d’accomplir les tâches « spécifiques » et « complexes » qui ont été désormais externalisées.
UN AUTRE AGENT QUI « FAIT DES SUDOKUS DEPUIS DES ANNEES »
Mais le requérant estime que son « harcèlement moral » est caractérisé par les « humiliations », les « moqueries » et le « comportement vexatoire » de sa hiérarchie : elle lui mettait des « appréciations favorables » sur son travail alors que celui-ci était « inexistant », a expliqué Me Bertrand Salquain. « Ce sont des appréciations ironiques… On connaît l’humour carabin. »
Mais la rapporteure publique, dont les avis sont souvent suivis par les juges, a trouvé « bien difficile » d’en conclure qu’il s’agit de « harcèlement moral » ; elle n’a détecté aucune « discrimination » en lien avec « l’activité syndicale » du requérant et le fait qu’il soit « représentant du personnel ». Laurent Bouchard « ne produit aucune note, aucun courriel » envoyé à sa direction pour « alerter » ses chefs sur sa situation, a également fait observer la magistrate, qui a conclu au rejet de la requête et dont les avis sont souvent suivis par les juges.
Le cas de Laurent Bouchard n’est pourtant pas isolé au CHU d’Angers, à en croire son avocat : Me Bertrand Salquain a « un autre client qui fait des sudokus depuis des années ». Selon lui, la direction de l’hôpital ne pouvait ignorer « l’inactivité » de son agent puisque son affaire a fait l’objet en août 2020 d’un « très bel article de Jean-Yves Lignel », un journaliste « aujourd’hui à la retraite », qui a fait « la Une du Courrier de l’Ouest ». « Ses collègues étaient gênés à la machine à café, parce qu’il n’avait rien à faire, zéro travail », a encore répété l’avocat angevin devant les trois juges nantais. « Toute la journée il se balade et va à la cafèt’ : sa seule occupation c’était la pause café car il était employé à ne rien faire. »
Mais « c’est quelqu’un qui a des activités syndicales et qui n’a pas sa langue dans sa poche », a répliqué l’avocate du CHU d’Angers. « Il avait des camarades, donc il n’était pas tout seul devant la machine à café ! C’est d’ailleurs stupéfiant qu’aucun des collègues de M. Bouchard qui exercent des activités syndicales n’ait alerté la direction sur sa situation. »
« Depuis qu’il est parti à la retraite, son poste a été supprimé : il a été considéré par les soignants que, dans l’intérêt des patients, il était préférable de faire appel à des laboratoires extérieurs », a-t-elle ajouté. « On peut donc présumer qu’il y a eu une baisse d’activité. » Le tribunal administratif de Nantes, qui a mis son jugement en délibéré, rendra son jugement dans un mois environ./GF