Justice
Le CHU d’Angers devra bien indemniser sa médecin employée « presque constamment dans des conditions irrégulières » durant dix ans

La cour administrative d’appel de Nantes a condamné le centre hospitalier universitaire (CHU) d’Angers (Maine-et-Loire) à verser 8.000 € à son ancienne médecin, employée « presque constamment dans des conditions irrégulières » pendant dix ans.
Pour rappel, le tribunal administratif de Nantes n’avait dans un premier temps alloué que 2.000 € au Dr Marie-Christine XXX pour son « préjudice moral » alors qu’elle avait demandé 92.000 € de dédommagements. Elle a donc fait appel de ce premier jugement défavorable devant la cour administrative d’appel de Nantes.
La requérante avait en fait conclu en 2004 avec l’établissement un « contrat d’engagement de service public exclusif », avant d’exercer comme contractuelle à temps plein à partir de 2006 pour occuper les fonctions de médecin déléguée à la qualité et à la gestion des risques. Dix ans plus tard, en 2016, le CHU avait mis fin à ce contrat et l’avait recrutée comme praticien hospitalier pour travailler à mi-temps pour le réseau Aquarel – une association loi 1901 au service des établissements sanitaires et médico-sociaux des Pays de la Loire – et à mi-temps auprès de l’Agence régionale de santé (ARS) des Pays de la Loire dans le cadre d’une convention de « mise à disposition ».
Las, en octobre 2017, l’ARS avait fait connaître son intention de mettre fin à leur « convention » et l’hôpital avait lui fait savoir qu’il ne souhaitait plus être le « porteur » juridique des recrutements avec le réseau Aquarel. La collaboration s’était donc terminée en décembre 2017, sans indemnité de licenciement.
UNE « REOTIENTATION PROFESSIONNELLE » DE SON PLEIN GRE
Mais le « seul contrat » conclu le 5 septembre 2006 « pour une durée déterminée » contrevenait bien aux dispositions alors en vigueur du code de la santé publique qui « limite les cas et les durées d’emploi applicables à ces personnels » et « plafonnent notamment à une durée maximale de trois ans les recrutement successifs d’un même praticien au sein d’un même établissement », commence par confirmer la cour administrative d’appel de Nantes dans un arrêt en date du 24 mai 2024 qui vient d’être rendu public.
Une « lettre » démontre toutefois que le Dr Marie-Christine XXX souhaitait « une évolution de ses conditions d’emploi » lui permettant de « baisser à 40 % d’un temps plein son emploi » et de « pouvoir être recrutée par la Société mutuelle d’assurances des professionnels de la santé (MACSF) », relèvent les magistrats. En mai 2016, elle avait « elle-même demandé au CHU de ne plus assurer, à partir du 1er septembre 2016, la mission de coordinatrice des risques et déléguée à la qualité » qu’elle assurait « depuis septembre 2004 ».
C’est donc sur « la base de ces orientations » et sur son souhait de « dégager du temps pour d’autres activités » que le CHU a mis un terme au premier contrat et lui a proposé d’être recrutée en septembre 2016 « sur des fonctions et selon une quotité horaire substantiellement redéfinies » dans le cadre des partenariats avec l’ARS et le réseau Aquarel.
« La caractère volontaire et non imposé d’une telle réorientation professionnelle » – opérée d’un « commun accord » – est d’ailleurs « corroboré » par le fait qu’elle n’a « pas contesté » la décision de mettre un terme à ses fonctions initiales, qu’elle a signé son nouveau contrat « le même jour » et qu’elle n’a pas « remis en cause ses nouvelles modalités de collaboration ». Dans ces conditions, « il ne peut être considéré (…) que Mme XXX aurait été licenciée dès le 30 juin 2016 de sorte qu’elle pourrait prétendre à une quelconque indemnité à ce titre ».
UNE « FAUSSE STABILITE D’EMPLOI »
Et, s’il n’est « pas démontré » que « des diligences » auraient été effectuées par le CHU d’Angers pour proposer « un reclassement » sur un poste à 40 %, il n’est pas démontré non plus qu’un « quelconque préjudice financier » ait résulté de ce « manquement » : la requérante a « immédiatement » retrouvé un emploi à 80 %, conformément à sa « réorientation professionnelle » engagée depuis « plusieurs mois ». Le Dr Marie-Christine XXX ne pouvait donc pas prétendre au versement d’une quelconque « indemnité de licenciement ».
En revanche, hormis durant ses « deux premières années d’emploi » entre septembre 2004 et 2006, elle a été « constamment, durant plus de dix ans, employée de façon irrégulière par le CHU d’Angers, sous couvert de contrats à durée indéterminée dont le caractère irrégulier lui a assuré une fausse stabilité d’emploi », retient la cour administrative d’appel de Nantes.
Elle n’a pas davantage bénéficié des « indemnités de précarité prévues dans l’hypothèse (…) d’une succession de contrats à durée déterminée dont peuvent bénéficier les praticiens hospitaliers contractuels ». L’hôpital ne justifie par ailleurs pas de « démarches actifs au sein de ses propres services » pour lui assurer « un reclassement dans ses effectifs en interne à hauteur de 40% d’un temps plein ».
Finalement, même si le Dr Marie-Christine XXX a été maintenue « de façon favorable » dans les effectifs du CHU pendant plus de dix ans en CDI, alors qu’elle n’aurait normalement pas pu bénéficier d’un tel contrat, la requérante « justifie d’un préjudice moral ». Les juges ont donc condamné le CHU d’Angers à verser 8.000 € au médecin – soit 6.000 € de plus que ce qui lui a déjà été accordé en première instance. L’hôpital devra aussi lui verser 1.500 € pour ses frais de justice./CB