Justice
D’Angers à Montceau-les-Mines, en passant par Guingamp et Lannion, la révolte gronde dans les hôpitaux contre l’entente sur les prix du cartel des légumes en conserve
Les juges des référés des tribunaux administratifs de Nantes et Rennes ont désavoué une dizaine d’hôpitaux français – parmi lesquels ceux d’Angers (Maine-et-Loire), Noyal-Pontivy (Morbihan), Lannion, Lamballe et Guingamp (Côtes-d’Armor) – qui entendent à présent poursuivre en justice les fabricants et distributeurs de légumes en conserve qui se sont entendus sur les prix à leur détriment pendant treize ans.
Pour rappel, la Commission européenne avait, en septembre 2019 et novembre 2021, épinglé les fabricants Bonduelle, Coroos, D’Aucy et Conserve Italia. Bruxelles avait notamment réclamé 18 millions d’euros au groupe français D’Aucy et 13,6 millions d’euros au néerlandais Coroos pour s’être entendus sur les prix et le partage du marché européen des légumes en conserve.
Cela leur avait permis de fixer les prix des légumes en conserve pendant plus de dix ans, à compter de janvier 2000. Les deux premiers groupes sanctionnés avaient en fait été dénoncés en octobre 2013 par leur concurrent Bonduelle – un autre bénéficiaire de l’entente – lui octroyant ainsi l’immunité, alors qu’il risquait 250 millions d’amende, avait expliqué la Commission européenne dans un communiqué.
Entre le 1er et le 12 août 2024, treize hôpitaux français représentés par les deux mêmes avocats parisiens – Mes Sarah Subrémon et Hugo-Bernard Pouillaude – ont donc introduit des recours en urgence devant les juges des référés des tribunaux administratifs de Rennes, Nantes, Dijon et Lille après avoir été informés de ces condamnations par la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) du ministère de la Santé.
UN « RISQUE SERIEUX DE DEPERDITION DE PREUVES »
En Saône-et-Loire, les hôpitaux de Montceau-les-Mines, de La Guiche, Chalon-sur-Saône, Louhans et l’Etablissement public de santé mentale (EPSM) de Sevrey avaient ainsi saisi le juge des référés du tribunal administratif de Dijon. Dans le Nord, le Centre hospitalier universitaire (CHU) de Lille, l’hôpital de Cateau-Cambrésis et l’Etablissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) de Comines avaient introduit des recours similaires devant le juge des référés du tribunal administratif de Lille.
Tous réclamaient que les fabricants, les distributeurs et l’administration fiscale leur communique les documents déterminant le « périmètre des produits concernés » par cette « entente anti-concurrentielle » : ces données leur sont « indispensables » pour établir « l’existence de la causalité entre l’entente illégale (…) et le préjudice [financier] ».
Les fabricants de conserves de légumes et les distributeurs sont d’ailleurs « soumises à une durée de conservation légale de dix ans », faisaient-ils valoir, ce qui laisse planer « un risque sérieux de déperdition des preuves » alors qu’une « grande partie des documents demandés a déjà été détruite ».
Reste que la durée légale de conservation des documents de dix ans est déjà « expirée », font remarquer les juges des référés dans leurs ordonnances respectives : les sociétés ne peuvent donc pas être regardées comme étant en leur « possession ». Même si elles les détenaient encore, elles ne sauraient être « tenues de les communiquer ». De la même manière, l’administration est soumise à une « durée d’utilité administrative » de dix ans : ses services ne peuvent donc davantage être enjoints de les produire. Enfin, et « en tout état de cause », il n’est « pas démontré » que ces documents seraient « indispensables à l’introduction d’un recours indemnitaire »./CB